Zyte

Extrait: I Le soleil couchant se noyait au milieu des vapeurs cuivr es qui, dans le lointain, emplissaient l'horizon au-dessus de Paris, et d j l'ombre grise des soirs de f vrier avait brouill le ciel du nord l'est. Le temps qui le matin s' tait mis au d gel retournait au froid, et les plaques de neige d lay es dans la boue paisse de la route se reprenaient en glace, craquant sous le pied. Pas un paysan aux champs, pas une charrue dans la plaine d serte o quelques mottes de terre trouaient de points noirs la nappe de neige qui avait commenc fondre; partout la solitude dont le morne silence n' tait troubl que par une bise glaciale qui dans les branches d nud es des peupliers soufflait la chanson de l'hiver, et aussi par les croassements de quelques corneilles attard es chercher leur nourriture. Cependant deux voitures, de celles que dans le monde des saltimbanques on appelle des roulottes, descendaient la c te de Champs, tra n es par des chevaux efflanqu s et de couleur ind cise: dans le calme du soir on entendait les m caniques serr es grincer et les essieux crier avec la plainte lamentable des choses d traqu es. Celle qui tenait la t te, attel e de deux chevaux, tait un long difice en planches rouges et jaunes alternativement, sur lesquelles on lisait en lettres blanches d'une taille d mesur e: Grand th tre Duchatellier; dans les c t s s'ouvraient des fen tres persiennes, et de son toit sortait un bout de tuyau en T d'o s'envolaient des petits flocons de fum e; l'avant tait dispos en v randa avec galerie circulaire et porte vitr e. Plus petite et plus modeste tait la seconde roulotte; un seul cheval la tra nait, bien qu'elle par t assez lourdement charg e en juger par les planches, les tr teaux et les d cors roul s entass s sur l'imp riale. Autour de ces voitures marchaient des hommes v tus de costumes bizarres pour la forme comme pour la couleur et qui bien videmment ne servaient point dans la vie ordinaire, mais qu'on avait tir s des coffres aux costumes, quand la bise avait commenc souffler, pour se d fendre du froid: c' tait dans le carrick gris petits collets de Chopart, dit l'Aimable, que s'enveloppait le conducteur de la premi re voiture, M. Duchatellier lui-m me, et dans le manteau trou de Don C sar de Bazan que se drapait le p re Lachapelle, le financier de la troupe, qui pour le moment conduisait par la bride B lisaire, le vieux cheval aveugle attel la seconde voiture; Th odore le comique avait endoss le pourpoint du duc de Brabant; Joseph, l'amoureux et le jeune premier, s' tait fait un cache-nez du ch le avec lequel on jouait les Anglais ridicules; et Stanislas, en qualit de fils de la maison qui peut tout se permettre, s' tait adjug la p lerine de lapin blanc du juge, ainsi que le bonnet de fourrure sans lequel il n'y a pas de bon ge lier au th tre. En descendant la c te, qui est raide, il avait fallu la main vigoureuse de Duchatellier et l'adresse du vieux Lachapelle pour soutenir les chevaux qui glissaient sur la neige d j verglac e, et encore avaient-ils failli s'abattre plus d'une fois. Arriv s au bas, on s'arr ta.