L'Affaire Shakespeare

" Il y a une affaire Shakespeare . Depuis soixante-dix ans que le consul britannique Jo. C. Hart l'a ouverte, elle a suscit assez de volumes, d' tudes, d'articles pour emplir une biblioth que publique. Ce n'est pas une querelle philosophique sur le sens, la valeur, la port e de l'oeuvre; c'est plut t un probl me la fa on d'Edgar Po il s'agit de savoir si Shakespeare est ou non l'auteur des ouvrages de Shakespeare. Sherlock Holmes, d faut de M. Dupin, serait bien utile pour r soudre cette question difficile. Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, a crit M. Guizot un jour qu'il se trouvait en humeur de po sie, de m me l'esprit de Shakespeare nous appara t dans ses oeuvres isol , pour ainsi dire, de sa personne. Comprenez que tout ce que nous pouvons imaginer du po te d'apr s son oeuvre, non seulement ne concorde pas avec ce que nous savons de l'homme qu'il fut, mais s'y oppose parfaitement. La chronique, constate Emerson, nous apprend quels furent sa parent , sa naissance, son lieu de naissance, son ducation, ses camarades, l'argent qu'il a gagn , son mariage, la publication de ses livres, sa c l brit , sa mort, et quand nous sommes au bout de ce comm rage, aucun rapport n'appara t entre tout cela et ce fils de la d esse: si nous avions plong dans le Plutarque moderne et si nous avions lu n'importe quelle autre vie, il semble qu'elle se rapporterait aussi bien aux po mes. Bref, la contrari t de cette vie et de l'oeuvre est telle qu'il para t, au premier abord, aussi impossible d'admettre que ce plat Shakespeare soit l'auteur du th tre que de supposer, en d pit de la tradition, qu'il ne l'est pas. Je m'efforcerai de l'exposer en termes mod r s parce que l'on prouve fortement, quand on vient de lire certains ouvrages baconiens ou rutlandiens, que l'antith se est une forme de rh torique que peu de personnes ont su manier avec agr ment en dehors de Victor Hugo."